Trois mois après l'attentat au Bataclan, le groupe américain Eagles of Death Metal a rejoué pour la première fois à Paris, mardi soir. Près de 800 rescapés du 13-Novembre ont fait le déplacement pour "terminer" le concert. Reportage.
S’il fallait choisir une chanson, pourquoi pas celle-ci… C’est l’une de celles qui incarnent à merveille Paris et son image d’Épinal. S’il fallait choisir une seule chanson, celle-ci est parfaite, en fait. Les Eagles of Death Metal (EODM) l’ont bien compris. Mardi 16 février, trois mois et trois jours après les attentats qui ont frappé le Bataclan, la voix de Jacques Dutronc a résonné en ouverture du concert-hommage du groupe de métal américain, à l’Olympia.
Il est 21 heures quand les premières notes de "Paris s’éveille", cet incontournable tube français de la fin des années 60, retentissent dans la salle parisienne. Quelques minutes plus tôt, dans la salle du bas, face à la scène, la foule terminait de s’agglutiner dans la fosse. Cela faisait déjà deux heures que les plus mordus de métal attendaient dans une ambiance festive, très arrosée – voire complètement survoltée – la venue de leurs idoles. La fosse, c’est l’étage des blagues grivoises et des selfies entre potes. C’est l’étage où le souvenir du Bataclan est quelque peu éclipsé par les pintes de bière et les verres de vin.>> À voir aussi sur France 24 : "Émotion sur les réseaux sociaux pour le retour des Eagles of Death Metal à Paris"
"C'est la première fois depuis les attaques que je me retrouve dans une salle fermée"
Ce n’est qu’à 21 heures, donc, quand les premières notes de Dutronc se sont mises à résonner dans la salle, que tout a sensiblement changé dans le mythique lieu parisien. En quelques secondes, la fosse et le balcon ont gommé leurs différences, sont entrés dans une sorte de communion, de transe. En quelques secondes, la foule, qui n'était pas là pour écouter de la chanson française, s’est laissée submerger par une même émotion.
Les milliers de spectateurs présents ont ovationné leurs idoles alors que les Eagles of Death Metal venaient de faire leur entrée sur scène. Pendant 1h30, les salves d’applaudissements succéderont aux (nombreuses) déclarations d’amour alcoolisées du groupe au public. Même ivre, rock'n roll oblige, EODM réussira à rester sobre et très émouvant sans tomber dans les discours-dégoulinants, appuyés et lourdauds.
Pour aider et rassurer les rescapés comme Sophie, l'Olympia a mis les bouchées doubles. Au niveau sécurité d'abord. Impossible de rentrer dans l'enceinte du lieu sans avoir subi au préalable quatre contrôles de sécurité dont trois fouilles corporelles. Impossible de ressortir fumer avant le début du concert, à l'entrée, et surtout impossible de se déplacer à l'intérieur sans son billet, contrôlé à chaque retour du bar ou des toilettes. "Ce qui est sûr, c'est qu'aucune arme ne peut entrer ici", se rassure Étienne, un autre rescapé du Bataclan, venu seul au concert. "Jusqu'à 18h30, je me suis demandé si je devais venir. Puis à 19 h, je me suis décidé. J'ai dit à ma femme que je l'aimais. Elle m'a répondu : 'Arrête tes conneries !'"
"Je suis coincé sur mon siège avec ma blessure mais j'irais bien dans la fosse"
Étienne n'a pas été blessé physiquement pendant les attaques du Bataclan. "Je suis l'incarnation parfaite de ce qu'on appelle la 'culpabilité du survivant'. Je n'ai pas dormi pendant des semaines entières. Je faisais toujours le même cauchemar. J'ai retrouvé le sommeil grâce au Xanax", explique-t-il. Pour les cas comme lui, plus anxieux, des cellules d'aide ont été déployées dans la salle. Ils sont d'ailleurs des centaines présents ce soir à partager des histoires similaires, des deuils insurmontables, des insomnies à devenir fou.
Ce n'est pourtant pas l'avis d'Alice* et de son mari, Bertrand*, tous deux parents de deux enfants en bas âge, et tous deux victimes des Kalachnikov du Bataclan. Assis, eux aussi, au premier rang du balcon, ils n’ont pas hésité longtemps avant d’appeler la baby-sitter. "Ça fait des semaines que j'attends de terminer ce concert", confie en souriant Bertrand. "Je suis coincé sur le balcon à cause de ma blessure, mais je serais bien allé dans la fosse", regrette ce fan des Eagles of Death Metal. Bertrand a reçu plusieurs balles dans l'estomac, Alice, une balle dans la jambe. Aujourd’hui, ils affirment avoir repris le dessus et disent vouloir fuir les associations d’aide aux victimes "trop larmoyantes". Pendant le concert, coincés malgré eux sur leurs sièges, ils ont pris des dizaines de photos du groupe en hurlant à plein poumons leurs morceaux préférés.
Un peu partout, sur le balcon, les "assis malgré eux" ont trouvé mille et une astuces pour ne pas rester "invisibles" face à leurs idoles. Ici, une béquille a servi à simuler une guitare, là, une canne a été levée fièrement en l'air en guise de résistance. À chaque discours du chanteur Jesse Hughes, dont les propos ont souvent été répétitifs mais toujours pleins de tendresse ("Je vous aime tellement bande d'enculés", ou sa variante "Putain, qu'est-ce que je vous aime bande de fils de putes"), les rescapés n'ont voulu ne ressembler à rien d'autre qu'à de simples fans, se déchaînant au son des batteries et des guitares électriques du groupe. Pendant 1h30, ils ont mis de côté les meurtrissures de leur chair. Pendant 1h30, Paris s'est vraiment éveillé et irradiait d'insouciance.
From http://www.france24.com/fr/20160217-ovation-emotion-olympia-le-concert-eagles-of-death-metal-concert-bataclan-hommage-france
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